Interview de Com-Ent . Septembre 2019
9 septembre 2019Jacques Seidmann, fondateur de MALT : “Le naming relève à la fois de l’orpaillage et de l’aventure”
Puissant levier de communication, le nom contribue au succès de la marque et ce, dès son lancement. Fondateur de l’agence MÀLTet professeur à l’Ecole Supérieure de Publicité, Jacques Seidmann met depuis plus de 25 ans son expertise en création de marques au service des entreprises. Au cours de l’interview, il déconstruit certains stéréotypes en matière de naming et livre les principales clés de réussite de cet élément stratégique.
Quels sont les stéréotypes en matière de nom de marque ?
Aujourd’hui, au moins deux tiers des noms de marque sont mauvais. Non pas parce qu’ils sont difficiles à prononcer ou qu’ils ne veulent rien dire, mais parce qu’ils n’ont pas été pensés comme des vecteurs de communication. Cela est en grande partie dû à des préjugés liés à la communication digitale : afin d’être repéré par les robots et mieux référencé, la descriptivité est trop souvent privilégiée. On se contente ainsi de noms qui font référence au domaine d’activité ou que l’on a déjà entendus. De telles pratiques relèvent du contresens : noyé dans la masse et interchangeable, le nom ne parvient pas à faire son travail, c’est-à-dire marquer les esprits et définir le territoire de marque.
Actuellement, l’absence de critères de mesure de la performance du nom seul pose problème : l’efficacité du naming, jamais évaluée ou amalgamée à l’ensemble des vecteurs de communication, demeure très subjective. Si le nom d’une marque est un élément à la fois sensible et éminemment stratégique, et sa résonance, bien réelle, l’absence d’une culture dédiée dans les entreprises traditionnelles nuit à sa reconnaissance.
Quels sont les différents types de noms ?
On en distingue traditionnellement trois, à commencer par le degré “zéro” qui correspond aux noms purement descriptifs. Ceux plus évocateurs, revêtant une dimension métaphorique, vont permettre de créer un territoire de communication, à la manière de la marque Innocent. Il y a, enfin, les noms symboliques ou exclusifs, tels Hermès,Vinci et Quechua: si leur adoption requiert plus de temps, leur caractère exceptionnel est gage de pérennité. Pour chacune de ces trois familles, une boîte à outils et des solutions de communication spécifiques sont nécessaires. Un accompagnement peut également s’avérer utile, notamment sur les stratégies de communication et d’usage.
Plusieurs critères contribuent au succès d’un nom : cela peut être un son, je pense notamment à Kodak, ou encore un mantra, comme “J’adore de Dior”. Le caractère inédit et accrocheur d’un nom, le fait qu’il n’ait encore jamais été entendu sur le produit sur lequel il se pose, peuvent participer à sa réussite. One Million de Paco Rabanne ou Adopte un mecs se sont ainsi fondés sur des paris audacieux, accompagnés d’une communication adaptée. Le nom seul ne signifie rien, ou presque : il lui faut un contexte permettant d’instaurer un lien communautaire, et ainsi de rentrer dans le clin d’oeil, à l’image de Poilâne et de ses “Punitions” : sortie de son contexte, l’appellation pourrait avoir une connotation négative, alors qu’in situ, le trait d’humour fait mouche.
Enfin, on peut opter pour un nom à la dimension purement stratégique, et qui véhicule, à lui seul, toute les valeurs de la marque. Allure de Chanel est un exemple tout désigné : un mot français mais évocateur à l’international, élégant et féminin.
Quel est le plus sûr moyen de rater son nom ?
On peut résumer les plus sûres façons de rater son nom de marque en dix points :
- Se lancer 48 heures à l’avance, oubliant que plusieurs allers et retours sont nécessaires, ne serait-ce que d’un point de vue juridique et sans compter le délai d’opposition légal de 2 mois après la demande d’enregistrement ;
- Ne pas définir de comité de pilotage ;
- Ne pas avoir défini l’identité de marque au préalable ;
- Baser les recherches sur un brainstorming fait à la hâte, qui se résumerait à une simple purge des poncifs du secteur et se révélerait contre-productif ;
- Rechercher la consensualité à tout prix et ne retenir que les noms qui plaisent au plus grand nombre ;
- Choisir des noms synthétisant la promesse standard du marché ;
- Vouloir faire tout dire au nom : l’image, le positionnement et la promesse ;
- Définir des contraintes communes : un nom court, mémorisable, caractéristique du produit, compréhensible et international ;
- Procéder par recherches à l’identique sur Icimarques (INPI) : le plus sûr moyen d’être attaqué ! ;
- Sous-estimer le savoir-faire requis et demander au stagiaire, n’ayant aucune expérience en naming, de se charger du nom. Une agence de création spécialisée dispose d’une expertise technique, indispensable pour savoir où chercher et quelles directions et scénarios envisager.
Gare aux idées reçues : il est, par exemple, préférable que le nom ait trois qualités et un petit défaut plutôt que de ne présenter aucun défaut… ni aucune qualité, gommant ainsi toutes les aspérités qui favorisent son succès. Le nom idéal n’existe pas, un travail de communication est obligatoire par la suite. La réflexion entourant la recherche du nom s’inscrit trop souvent dans l’immédiateté, quand un temps d’adoption s’impose. Je pense notamment à Monsieur Proprecou encore Naf Nafet Diesel, qui n’avaient rien de consensuel mais sont, par la force de la répétition, devenus conventionnels.
A contrario, comment viser juste ?
Pour résumer, un brief, des contraintes et des délais raisonnables sont prérequis. il faut garder en tête que le nom définit à la fois le profil juridique et l’univers métaphorique d’une marque. Définir un comité de pilotage représentatif de l’entreprise, des objectifs et un territoire clairs, ainsi que les points de différenciation que l’on souhaite exprimer par le nom, a fortiori sur des marchés saturés, constituent des préalables. La caractérisation des objectifs invite à aborder la question de la destination (où veut-on aller) et de délais (en combien de temps). Enfin, ne pas négliger les contraintes, qui vont offrir un cadre propice à la créativité.
Comme évoqué précédemment, le temps est un allié : on ne cherchera pas immédiatement le nom. On pourra, par exemple, commencer par procéder par association d’idées avant d’affiner les pistes de recherches les plus prometteuses. Il ne faut pas sous-estimer l’importance des délais. Comptez 15 jours à 3 semaines pour avoir des propositions surprenantes. De nombreux noms de marques étant déjà déposés, le travail de naming s’apparente à un travail d’orpaillage, doublé de celui d’un aventurier : on sait ce que l’on cherche mais on ne sait pas ce que l’on va trouver ! Il est nécessaire d’explorer plusieurs pistes pour trouver la pépite. Le droit des marques invite d’autant plus à aller où les autres ne sont pas allés.
Penser “surprise” ou “émotion” est un bon leitmotiv en matière de création de noms. Il ne faut pas avoir peur d’aller vers un degré d’appellation métaphorique plus que descriptif. Citons BlablaCarc: le nom de marque fait référence au partage d’expérience inhérent au service proposé.
Une démarche participative est possible en impliquant l’interne et notamment les responsables de la communication. Car oui, le nom et le naming ont également une fonction fédératrice ! A contrario, il faut parfois être directif pour imposer un nom basé sur une vision stratégique et donc qui s’installera dans la durée et sur la répétition. Le choix d’un nom est une entreprise délicate car il confronte à l’inconnu.
Quelles sont les tendances actuelles du naming ?
Les startups ont cette conscience de la différenciation : elles savent produire des noms de produits originaux, tout en émergeant sur le Web et apportent, en matière de naming, un regain de créativité au marché. De plus, les fonds d’investissement sont demandeurs de véritables marques et non pas de noms bricolés à la va-vite. Sous cette impulsion, on observe un retour à la culture de la marque et au branding, avec l’émergence de véritable territoire de communication.
Peu à peu, le côté aseptisé, et donc consensuel, du nom est abandonné au profit de véritables partis pris moins conventionnels, avec davantage de caractère, permettant aux Poiscaille, Piaules ou En voiture Simone d’émerger. Ils témoignent également d’une volonté de réexplorer le patrimoine linguistique, pour valoriser l’identité française et indiquer la particularité, notamment dans les domaines de la géographie, du parfum, de la mode, en s’émancipant des impératifs de standardisation internationale. Enfin, certaines marques revendiquent une culture du wording, dont le nom se fait la première expression, prolongée ensuite par une charte de naming étendue à l’ensemble des produits et services.