Comment reconnaitre un mauvais nom de marque ?

10 janvier 2024

Depuis plusieurs années, j’insiste sur le manque de critères objectifs d’appréciation des noms de marque. Autrefois marginal, le nom est devenu maintenant un vecteur central de la stratégie de marque et communication surtout quand on sait exploiter son effet de levier.

Pourquoi reconnaître un mauvais nom de marque ?

Répondre au-delà des habituels « j’aime / j’aime pas » permet par opposition de cerner le profil des bons noms de marques, voire excellents ou exceptionnels.

Comment reconnaître un mauvais nom de marque ?

Voici par ordre d’importance les différents critères qui les signalent.

#1 – Il s’oublie

Il ne laisse aucune trace et rien ne favorise sa mémorisation. Il est emporté dans le déluge des informations quotidiennes auxquelles nous sommes soumis. Selon différentes études, nous sommes passés d’une exposition de 1500 messages publicitaires / jour en 1970, à 10 000 aujourd’hui ! Emerger dans ce contexte est un challenge, c’est une des missions majeures du nom que d’y contribuer. Certains y parviennent d’autres pas. Par exemple, je cherche en vain le nom lancé il y a deux ans par Google pour une de ses filiales avec un nom barbare aux connotations plus pharmaceutiques que digitales.

#2 – L’INPI rejette sa demande d’enregistrement !

L’aspect juridique est également essentiel. L’INPI devient de plus en plus sévère sur la descriptivité des noms, refusant de plus en plus de noms pour leur manque de caractère distinctif. Cela oblige donc au retour à la case départ pour le projet avec un préjudice impactant en terme timing et de budget.

#3 – Il porte atteinte aux droits d’une marque antérieure similaire qui fait opposition

Si elle est jugée recevable par l’INPI, vous devrez également repartir à zéro. Investir plus de temps à la création d’un nom original aurait éliminer ce risque d’opposition.

#4 – Une fois enregistrée, votre marque pourra pas s’opposer aux futures marques similaires lancées par de futurs concurrents

S’il manque d’originalité, sur le plan juridique, il est considéré comme une marque faible. C’était le cas de « Ventes Privées » (avant qu’il n’en change), le nom avait inspiré une famille de suiveurs comme : « Show-Room privé », « Ventes Uniques », « Chauffeur Privé », contre lesquels la marque n’a pas pu réagir en raison de son caractère trop descriptif.

Certaines marques en viennent donc à changer de nom pour se construire des territoires plus différenciants « Chauffeurs Privés » devient « Kapten » puis « Free Now », « les Nouveaux Fermiers » se rebaptisent « Happyvore », « GDF-Suez » quant à lui s’est constitué l’identité plus glamour d’«Engie ».

#5 – Il décline une racine descriptive qui l’affilie à un secteur comme tous ces concurrents

Son identité sera proche de valeurs génériques. Ce qui qui ne favorise pas la communication. Par exemple :

  • – « Intersport, Go sport, Sport 2000 » mais « Décathlon » s’en distingue.
  • – « Paypal, Paylib, Hipay, Payzen » mais « Lydia » s’en éloigne.
  • – « BforBank, Hello Bank, MonaBank » et non « Shine, N26, Revolut, Fortuneo qui manifestent plus de singularité.

Autrefois plus créatives et audacieuses, les marques de parfums cèdent actuellement à la facilité pour nommer leur nouveaux produits, déclinant à l’infini le même thème ou presque. « Pour elle, Pour lui, Homme, Nuit de l’homme, Girl »…rien à voir avec des paris audacieux sur des noms au succès fulgurant comme « La Petite Robe Noire » ou « One Million ».

#6 – Il se rattache explicitement à une activité ce qui peut se révéler un handicap par la suite en cas de croissance sur des nouveaux marchés

Bien que devenue une marque culte et générationnelle « Le Slip Français » se range dans cette famille. Un nom d’emblée transversal éviterait par contre cet inconvénient. Pour signifier la fabrication française de ses jeans et éviter le piège de l’expression littérale, « 1083 -Fabriqué à moins de 1083 km de chez vous » utilise la métaphore avec brio et peut sereinement envisager ses déploiements ultérieurs.

#7 – Il est 100% générique.

On assiste à cette tendance revendiquée par certaines marques de niche qui affichent ainsi leur parti pris anti-marketing dans l’esprit « no logo ». Ces marques seront condamnées à rester l’apanage d’une cible d’initiés puisque leur nom seront indétectables sur les moteurs de recherche. Comme la marque de niche « Vêtements », qui a fait ce choix. Je préfère nettement des noms comme « Maison Standard, Panoplie, Commune de Paris, Cuisse de Grenouille, Sœurs » qui construisent des singularités fortes et uniques.

#8 – Le mauvais nom est imprononçable, sans musicalité et sans signifié, de plus il n’ajoute aucun imaginaire :

Leur fréquence augmente dangereusement : « Sarenza », « Zalendo » pourquoi pas « Sarenda » ou « Zalenzo » ou « Kelepron », « Setrossia » ?

Préparons-nous au pire avec la puissance combinatoire de l’IA et attendons-nous à une déferlante de néologismes aseptisés, bon marché, interchangeables, sans qualité phonétique, sémantique ou graphique.

Consulté, Chat GPT délivre en libre-service ces propositions : « Vimplix », « Snorblix », « Snilk », « Flibber » qui préfigurent cette tendance à l’Ikeatïsation du naming.

Plus ces pseudos-noms proliféreront, plus les noms du type de « Loverdose » pour son double sens, « Welcome to the Jungle » pour son imaginaire, « Deezer » pour sa musicalité, « Lulu dans ma rue » pour sa connivence et sa gouaille, « Tesla » ou « Vinci » pour leur force symbolique seront appréciés, ces noms deviendront exceptionnels par contraste avec un environnement de marque de plus en plus aseptisé et tiré vers le bas.

#9 – Il est « tendance » …

Bien que le dicton nous le rappelle « la mode se démode », il est difficile de résister à la tentation de suivre l’air du temps. A moins d’un twist bien trouvé, le nom « tendance » deviendra vite daté.

Combien de marques se sont construites sur le modèle de « So pretty » de Cartier, puis sur celui d’Agnès.B, ou enfin sur celui de « Michel et Augustin » qui a inspiré des centaines de clones.

Depuis déjà plusieurs années la racine « ee » est (mais pour combien de temps encore ?) un signe de modernité pour de nombreuses marques qui se créent comme « Acheel » et bien sur la marque « Veepee » qui en est l’illustration extrême.

De même pour la racine « We » et ses multiples déclinaisons comme par exemple : « WeareBrewers, Weareinnovation, Wearekids, WeareParis, et bien sur Wework ». Ces marques aux fortes connotations communautaires, fleurissent un peu partout, probablement en réponse à des attentes croissantes de proximité et de partage des consommateurs. Ces marques devront tenir leur promesse communautaire, sinon elles paraîtront factices et risquent de disparaître.

Attention, l’air du temps est impitoyable, ces marques construites sur we, « ee » deviendront datées à force de se multiplier.

#10 – A l’inverse il est ésotérique

Certains noms sont trop déterminés par la culture de l’entreprise, conçus par l’interne pour l’interne. Lancia en offre une illustration extrême avec son dernier concept-car « Pu-RaHPE ». Ce registre hyper technique n’envoie pas vraiment de promesse, ni message au public. A la différence des noms de concepts-car comme « Exalt ou Inception » sur lesquels j’ai travaillé avec Peugeot pour incarner les valeurs de marque.

#11 – Il cherche à exprimer un message trop complexe conduisant à l’impasse

A vouloir trop faire dire au nom, celui-ci va finir par perdre tout pouvoir d’interpellation et de séduction. A cet égard, un nom comme « Ma French Bank »* donne vraiment l’impression de vouloir à tout prix concilier le registre start-up avec celui de la citoyenneté institutionnelle. Ces deux directions opposées s’annulant, il aurait été préférable de les exprimer successivement. Le nom « Happyvore » malgré le succès commercial des produits a aussi l’objectif de chercher à concilier deux promesses contraires. Selon moi c’est au détriment de l’euphonie et des connotations gourmandes du mot.

Le nom est la locomotive et non le message qui pour vocation à être déployé dans la communication qui l’accompagne. Un nom ne peut pas tout dire, ce n’est pas sa fonction. Nommer c’est hiérarchiser ! Et faire un d’arbitrage lors de la sélection finale.

*La Poste vient d’annoncer que la Ma French Bank ne poursuivrait pas son activité.

#12 – Attention, certains noms sont moins « mauvais » qu’ils n’y paraissent au premier abord

Dans un contexte fortement mimétique, s’affranchir de l’air du temps expose au moins dans un premier à des critiques, voire un rejet. Il faut savoir tenir bon en se disant que les noms finiront tous par s’installer. 

La dénomination « Inouï » malgré les virulentes critiques du départ, est bien acceptée par le marché aujourd’hui.

De nombreux noms sans effet ‘waouh’ peuvent faire le job une fois installés et devenir des marques fortes. « Le Bon Coin », « Crème de la Crème » et plus récemment la plate-forme de free-lance IT « Le Hibou » séduisent par leur connotations vintage et intemporelles bien qu’elles soient à contre-courant des stéréotypes de la modernité.

Autre exemple : « 66°30 » créée par MàLT pour une marque de produits bio cosmétiques pour hommes. Ce chiffre n’est signifiant que pour une poignée d’astrophysiciens, par contre c’est un formidable teaser pour le story-telling à savoir « l‘angle d’inclinaison de la terre par rapport à son orbite autour du soleil’, ce territoire est unique et durable.

Si la qualité du nom est cruciale pour son effet de levier au lancement de la nouvelle marque n’oublions pas que c’est sur la durée que se jugent aussi les noms. Un paradoxe peu courant auquel les créateurs de marque ont l’habitude de se confronter.

#13 – Il sera noyé dans 3 pages d’occurrences sur les moteurs de recherche

Auspice peu favorable pour le projet, sauf si des budgets conséquents sont engagés pour sa visibilité digitale. En créant un néologisme sur mesure et vraiment exclusif, il est fréquent de n’avoir aucune marque antérieure ni présence commerciale sur les moteurs de recherche, c’est un immense avantage pour la communication à construire.

#14 – Il manque de filiation et de résonance avec leur marque-mère

Le lancement récent de « Divine » de Jean-Paul Gauthier illustre bien l’écart entre un nom de produit un peu cliché et le territoire de la marque plus décalée de l’ex-enfant terrible de la mode. De plus, « Divine » vient de faire l’objet d’une opposition de la part d’une marque identique antérieure. Un concept créatif et innovant, en phase avec l’audace de la marque aurait évidement éviter rencontrer un tel obstacle.

A contrario l’expression « J’adore » très courante dans les années 90, se débanalise une fois associée à Dior « Dior J’adore » et sonne alors comme un pur mantra phonétique. De même Loverdose vient s’appuyer sur l’ADN de la marque Diesel et le renforcer comme « Allure » pour Chanel.

#15 – Après un changement de nom, l’ancien reste toujours accolé au nouveau nom

Si au bout d’un an le doublon se maintient, j’émettrais des doutes sur la pertinence du changement et / ou sur le choix de la nouvelle appellation. Vous pensez à X-ex Twitter ? Vous avez gagné !